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Publié le par Perceval

MODES ET MANIÈRES D 'AUJOURD 'HUI

HENRI DE RÉGNIER

VIT CES DOUZE AQUARELLES DE

GEORGE BARBIER

ET SE DIVERTIT A LES CHANTER

1914

Art déco, en s'inspirant du credo parisien des années 1920: ambiance érotique et style de vie exotique ...

Art déco, en s'inspirant du credo parisien des années 1920: ambiance érotique et style de vie exotique ...

Les compositions sont de George Barbier.

Examine-les bien au jour ou sous la- lampe.

C'est lui qui, patient, dessina chaque estampe

Et fixa les couleurs sur le blanc du papier.

 

Il est habile. Il sait son art et son métier

Et, d'un pinceau léger que le ton juste trempe,

Allonger d'un trait fin un bel oeil vers la tempe,

Ou peindre aux mains la lourde rose ou l'arc altier.

 

Moi, tout en feuilletant les images du livre.

J'ai vu des bouches me sourire et des yeux vivre.

Et, parfois, j'entendais ton rire, ô volupté !

 

Soumis, j'ai répondu à qui me faisait signe.

Et de cela, lecteur, il en est résulté

Ces poèmes en prose et ces vers que je signe :

Henri de Régnier.

LA BELLE MATINEUSE

Je t'ai connue à ton matin, Belle Matineuse ! Souviens-toi.

Quand l'aube faisait filtrer son rai de clarté dans l'obscurité de ton logis, tu t'étirais lentement, puis, à regret, les yeux encore lourds d'un sommeil trop bref, tu t'asseyais au rebord de ton lit avec une moue fatiguée et tu hésitais à poser tes deux petits pieds nus sur le carreau nu de ta mansarde.

Car tu habitais une mansarde, une vraie, avec un mur mansardé pourvu d'une tabatière qui ouvrait sur le ciel de Paris, sur un carré de ciel qu'elle ourlait comme pour le proposer en exemple au travail de tes doigts. Ton lit de fer reposait, de ses quatre pieds à roulettes, sur le carrelage disjoint. Tout en haut d'une haute maison bruyante de querelles ouvrières, de jurons dans les couloirs et de gros souliers dans l'escalier interminable, tu vivais, menue et laborieuse, perchée en ta cage faubourienne, comme un oiseau.

Mais l'oiseau s'est envolé. Il a emprunté les ailes de l'amour. C'est l'amour qui, d'un coup de sa baguette, a changé ta couchette de fer en ce lit élégant. Il a agrandi en fenêtre la tabatière; il a remplacé le carrelage par un tapis moelleux.

Maintenant une charmante table de laque rouge supporte ton déjeuner. De belles babouches dorées attendent tes pieds délicats et ton chien de la Chine, assis sur son derrière, te regarde avec ses gros yeux de chimère réelle.

A présent, si tu te lèves de bon matin, ô Belle Matineuse, ce n'est plus pour tremper le nez dans la cuvette d'eau froide et pour ne pas manquer l'heure où s'ouvre l'atelier. Tes pas ne foulent plus le trottoir boueux et tes doigts ne manient plus l'aiguille piquante. Non ! Si tu t'éveilles matin, c'est que tu sais que l'auto sera, de bonne heure, à ta porte pour te conduire où le commandra ton caprice, pour t'emmener à la campagne afin que tu y respires l'air frais, cet air qui donne aux jeunes femmes le teint des fleurs et qui arrondit à leur poitrine le fruit savoureux de leur beauté.

LA VASQUE

 

Elle est nue, debout au milieu de la vasque carrée qui s'encastre dans le pavage de marbre blanc et noir. Elle est svelte et robuste comme les deux colonnes qui soutiennent le plafond invisible de la salle fraîche où elle baigne son corps doublement matinal, car la jeunesse en anime les formes harmonieuses.

De ses deux bras levés, elle hausse, au-dessus de sa tête, une grosse éponge ruisselante et toute dorée. Elle a l'air ainsi d'invoquer quelque dieu de la mer où elle est née, comme Vénus, et dont elle garde encore les fines algues au creux de ses bras onduleux. L'eau coule sur ses épaules, et son geste est si pur que, sans le bonnet à la mode qui emprisonne sa chevelure, on croirait que cette belle baigneuse vous apparaît du fond des temps, comme une vision voluptueuse et vivante.

Et cependant, elle est bien réelle, la belle baigneuse !

Elle ne s'évanouira pas en une vapeur dorée. Quand celui, qui la regarde avec des yeux naïfs et émerveillés, lui aura tendu le peignoir et qu'elle aura séché son corps rafraîchi, c'est d'étoffes modernes qu'elle le vêtira, et elle deviendra une de ces élégantes dames d'aujourd'hui, dont nous admirons la grâce compliquée et délicieusement actuelle.

Ce n'est point un char attelé de rapides chevaux ou une litière portée par des esclaves lents qui l'attend. Non, c'est quelque auto à la carrosserie luisante et précise qui l'emportera vers les allées du Bois, et les promeneurs qui admireront la séduisante silhouette de cette Parisienne de bon ton, sous ses atours éphémères et charmants, ne songeront guère que, tout à l'heure, elle était pareille à ces déesses nues qui, imitées par le marbre, maintiennent parmi nous la divine présence et le souvenir de la Beauté.

Notez les fortes influences orientales, ainsi que le feuillage Art Nouveau.

Notez les fortes influences orientales, ainsi que le feuillage Art Nouveau.

LE COUP DE VENT

(...)

Mais le printemps est perfide comme l'amour et la jeunesse est changeante comme un jour d'avril. Tout à coup, voici que le ciel est traversé d'un brusque frisson. Les arbres s'agitent subitement et leurs petites fleurs s'envolent en un tourbillon affublé. La robe d'Aline colle soudain à son corps, puis palpite comme si des mains invisibles voulaient l'arracher, et Aline se sent comme nue. Pourtant elle résiste de son mieux à la rafale. Aline, Aline, prenez-garde, le moindre souffle de l'aile de l'amour est plus fort que le plus fort vent d'avril !

L'image de la femme libérant un oiseau de sa cage avait la signification universelle dans l'art de cette période comme représentant la liberté et une nouvelle égalité est accordée aux femmes: elles sont enfin libérées des contraintes sociales, juridiques et politiques de leur «cage».

L'image de la femme libérant un oiseau de sa cage avait la signification universelle dans l'art de cette période comme représentant la liberté et une nouvelle égalité est accordée aux femmes: elles sont enfin libérées des contraintes sociales, juridiques et politiques de leur «cage».

L'OISEAU VOLAGE

J'avais un perroquet bleu dont j'étais folle... I1 imitait la toux de mon vieil amant et chantait à ravir, bien que d'une voix un peu rauque, l'air que mon jeune amour lui avait appris patiemment. Il mangeait dans ma main des grains choisis et, dans sa cage treillagée, au toit en pagode, il se balançait à un large anneau d'or.

Un soir, la porte de laçage étant ouverte, il est parti. Je l'ai pleuré, je l'ai tant pleuré que j'ai porté son deuil et que j'ai renvoyé le vieil amant et le jeune amour dont la toux et la voix me rappelaient trop amèrement cet oiseau chéri.

Et puis, je me suis consolée. J'ai remis ma robe à ramages et j'ai ri à d'autres amis et, dans la belle cage vide, je vois déjà se balancer mes oiseaux futurs, plus beaux que des songes... un

merle blanc, peut-être? un phénix? ou cet oiseau couleur du temps, prince enchanté, qui aima Florine.

Et, tout à coup, mon perroquet bleu est revenu. J'ai entendu un frisson d'ailes, j'ai levé les yeux, je l'ai vu qui se dandinait sur la branche d'un pin empourpré. Que je l'ai trouvé laid! ridicule avec son bec crochu et ses façons sottes d'imiter les voix du passé! Que je l'ai détesté, mon perroquet bleu! Et je lui ai dit, en imitant à mon tour sa rauque parole aux roulements âpres : « As-tu bien voyagé, Jacquot? Retourne, retourne d'où tu es revenu... »

L'ARC ROUGE

Un jour où je m'ennuyais, j'ai pris pour m'amuser un grand arc rouge qui, dans le coin d'une salle déserte, étirait avec ennui sa courbe inutile. Je suis sortie en le brandissant et parfois je m'arrêtais en essayant de tendre la corde.

Je vis bientôt que j'étais suivie par un petit être vêtu de rouge, aux couleurs de l'arc et qui tenait un carquois. Il me présenta de belles flèches dont les pennes étaient déjà cramoisies et comme sanglantes avant le jet.

C'est alors, charmant et pauvre inconnu, que vous passâtes.

La flèche me tentait, l'arc était vibrant, et, malgré ma main inexperte, le dard vous atteignit aussi profondément que si vous aviez été mon ennemi.

Je fus stupéfaite et désespérée. Vous voir souffrir! Ah! quel ennui et que le destin me sembla stupide ! Vous n'êtes pas encore guéri et, depuis ce jour malheureux, vous m'importunez de vos soupirs. Je vous ai blessé, et vous me traitez d'inhumaine...

Mais aussi, pourquoi passiez-vous?

le style de vie sensuel et hédoniste est dépeint avec l'esprit et le charme caractéristiques de Barbier.

le style de vie sensuel et hédoniste est dépeint avec l'esprit et le charme caractéristiques de Barbier.

SHEHERAZADE

Maintenant, ô Shéhérazade, que, pour la mille et unième fois, vous avez charmé la nuit du Sultan attentif et fantasque dont vous avez vaincu le caprice cruel; maintenant que vous êtes sûre que le lacet de soie ne serrera pas votre cou délicat et que votre tête charmante ne roulera pas, à l'éclair rouge du sabre, sur la dalle de marbre; maintenant, vous êtes triste, et vos beaux yeux semblent naïvement déçus.

Que vous manque-t-il donc, ô Sultane subtile, Reine des histoires merveilleuses? Votre Maître reconnaissant ne vous a-t-il pas commandé chez le bon faiseur la robe la plus délicieuse du monde puisqu'elle vous va à ravir? Et cette émeraude et ces perles ne sont-elles pas une marque de votre pouvoir magique et un signe de la gratitude de votre auditeur nocturne?

N'est-ce pas lui aussi qui vous a fait présent de cet arbre nain de la Chine que vous désiriez depuis si longtemps et de ces deux roses qui chargent de leur poids odorant chacune de vos mains?

Et cependant vous êtes triste, ô Shéhérazade! S'il vous fallait conter encore un dernier conte, je crois que vous inventeriez quelque histoire bien mélancolique, celle d'une jeune femme qui s'ennuie, car vous vous ennuyez, n'est-ce pas?

Vous dédaignez de respirer l'odeur de vos belles roses et vous vous détournez de votre miroir. Vous y verriez pourtant un charmant visage, le vôtre, le visage matinal de l'Enchanteresse de tant de nuits.

Mais l'heure avance et l'ombre approche, ô Shéhérazade!

Ce soir, vous n'aurez nulle histoire à conter. Venez au jardin vous asseoir silencieusement auprès des fontaines. Ce sont elles qui parleront pour vous. Est-ce ce silence qui vous attriste?

Avez- vous donc pris goût à la rouge menace suspendue sur votre tête? Les femmes aiment le péril, et l'amour est le plus dangereux des sultans. Regardez, ô belle rêveuse, ce croissant de lune qui monte au ciel, clair et coupant. Son reflet dans l'eau du bassin ne semble-t-il pas faire allusion à ce sabre courbe qui eût pu trancher le fil soyeux et mille et une fois renoué de votre Destin?

La scène du bal vénitien était un thème favori des artistes de cette époque

La scène du bal vénitien était un thème favori des artistes de cette époque

ARLEQUIN OU LE DÉSIR

Je sais ce qu'il te dit, car il est le Désir, et nous avons tous été lui-même, comme il est chacun de nous. Il est le Désir et c'est pour cela qu'il est revêtu d'un habit de couleur double et qu'il a mis un masque sur son visage, car le Désir est changeant et secret et ne veut pas se reconnaître s'il lui arrivait d'apercevoir son image dans les miroirs du passé. Il ne veut jamais avoir que la figure du moment.

Il est venu à toi, souple, et dansant, et il t'a parlé dans l'ombre parce que sa voix est plus insinuante dans les ténèbres.

Il t'a suivie au jardin nocturne parce que sa voix est plus émouvante quand elle se mêle aux soupirs du feuillage et aux bruits des fontaines, quand elle se mêle à tout le vaste silence de la nuit et que son écho se prolonge en quelque musique lointaine.

Il t'a parlé et je sais ce qu'il t'a dit. Il t'a dit qu'il t'apportait la joie d'être aimée et admirée, la douceur qu'une bouche murmurât à ton oreille des paroles que l'on n'oublie plus, la volupté d'être pressée sur un cœur haletant. Il t'a dit qu'il t'apportait le vrai trésor de la vie, fait de caresses, de fièvres et de souvenirs. Il t'a dit que tu étais belle et t'a juré d'être éternel.

Et tu l'as écouté - parce que la nuit était douce et parfumée, parce que le feuillage nocturne frémissait langoureusement, parce que la fontaine murmurait dans la vasque harmonieuse, parce que les roses embaumaient l'ombre, parce que la musique de fête attendrissait le silence, parce que ton jeune coeur était avide de vie et d'amour et parce qu'il faut que toute femme ajoute aux bijoux de sa parure la douloureuse, l'étincelante, la divine scintillation des larmes.

 Barbier, qui présente ici un nouveau costume de bain audacieux dans une scène de séduction de récifs coralliens. Son caractère audacieux a dû être très émoustillant pour le spectateur de l'époque

Barbier, qui présente ici un nouveau costume de bain audacieux dans une scène de séduction de récifs coralliens. Son caractère audacieux a dû être très émoustillant pour le spectateur de l'époque

Henri de Régnier, né à Honfleur le 28 décembre 1864 et mort à Paris le 23 mai 1936, est un écrivain et poète français, proche du symbolisme.

Admirateur de Mallarmé, aux « mardis » duquel il assistait régulièrement dans sa jeunesse, il avait été d’abord influencé par Leconte de Lisle et surtout par José-Maria de Heredia dont il épousa, en 18951, l’une des filles, Marie, poète elle-même sous le pseudonyme de Gérard d'Houville. Ce mariage ne fut pas heureux : à partir de la fin de l'année 1897, Marie entretint une relation presque stable avec un de ses meilleurs amis, le poète et romancier Pierre Louÿs.

Voir ICI: Marie de Regnier : http://eve-adam.over-blog.com/article-marie-de-regnier-1-la-fille-heredia-117702014.html

 

 

Georges Barbier est né à Nantes, en France, en 1882, dans une famille bourgeoise prospère. En 1907 il entre à l'Ecole des Beaux-Arts, il est sous la houlette du peintre Académiste Jean-Paul Laurens, de 1908 à 1910. Il commence à exposer lors du Salon des Humoristes de 1910, sous le pseudonyme d'Edouard William. 

C'est au Salon des Artistes Décorateurs que ses gouaches, aquarelles, et projets de décoration et de textiles au style déjà affirmé plaisent au public. Barbier a 29 ans...

Pour lire la suite, c'est ICI : http://eve-adam.over-blog.com/article-il-etait-une-fois-avec-georges-barbier-124086676.html


 

Ce pochoir est presque musical dans son tourbillon de mouvement langoureux et sa richesse dramatique ponctuée de reflets dorés et argentés. Barbier avait son propre langage artistique de la poésie, de la musique, comme ce pochoir le montre si brillamment.

Ce pochoir est presque musical dans son tourbillon de mouvement langoureux et sa richesse dramatique ponctuée de reflets dorés et argentés. Barbier avait son propre langage artistique de la poésie, de la musique, comme ce pochoir le montre si brillamment.

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