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Shéhérazade, entre orient et occident 1: Jacqueline Kelen.

Publié le par Perceval

Extraits d'interviews de J. Kelen, par Anne Ducrocq, et Anik Doussau

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Jacqueline Kelen: écrivaine initiatrice Albena Vatcheva, peintre

«  Shéhérazade : et, cette extraordinaire descente aux enfers qu'elle propose à l'homme impérieux qui doit se taire pendant mille nuits. Et à la fin de ce huis clos, l'amour émerge, l'amour dont l'homme ne connaissait justement que l'érotisme, non l'érotique. Toutes les grandes femmes des mythes me semblent être de grandes amoureuses, des Dames d'Amour, comme la Dame à la Licorne. La Reine de Saba est une autre figure extraordinaire, une belle "païenne" qui va voir un Roi Salomon au fait de sa puissance pour le conquérir. Mystère insondable dont on ne sait rien. On ne peut rien saisir, et c'est pour ce rien, ce mystère de l'autre, qu'il nous faut entreprendre le voyage. La Reine de Saba n'a laissé aucune trace, c'est pour moi le symbole même de l'amour et de l'érotique."

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Tout de même, elle a eu de la chance, la Magdeleine : elle a rencontré un homme aussi fou qu’elle, et aussi épris d’absolu. Et la petite Reine des sables, qui a voyagé jusqu’à Salomon pour lui poser des énigmes et lui faire oublier sa sagesse ! Isis s’est affrontée à la mort et à Seth, le meurtrier, tandis que Shéhérazade tenait tête à un affreux misogyne, au demeurant Sultan de Bagdad, pendant des myriades de nuits. »

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- Ne craignez-vous pas de choquer en mettant sur le même plan la relation physique entre un homme et une femme, et la spiritualité ou l’expérience mystique ?

« Si j’en choque certains, c’est parce que nous voyons tout en termes antinomiques: on a voulu séparer le corps et l’esprit comme si la spiritualité était d’ordre mental. Comme si elle impliquait de renoncer aux sensations, aux émotions et à la plus belle chose qui soit en ce monde: le désir. Ce serait une spiritualité d’eunuque. Si nous sommes vivants, nous sommes dans ce corps qui nous a été donné et l’amour, alors, passe par lui. Or, peut-être parce que la femme a la possibilité d’héberger en elle un enfant, elle est moins portée que l’homme à dissocier le corps et l’âme. Elle a gardé plus que lui le souvenir que le corps est sacré et qu’il est infiniment précieux. Elle reste la mémoire de ce lieu de plénitude et de lumière qu’est le paradis… »

« Dans l’acte amoureux, la femme fait cadeau à l’homme de son corps à lui, elle lui donne le sens de son corps à lui. Il est rare, en effet, que l’homme ait un contact juste et amical avec son corps. Même un sportif ou un homme très actif n’est pas vraiment dans son corps. Il n’éprouve aucune reconnaissance à son égard. Mais dans l’étreinte, l’homme prend conscience que son corps est infiniment plus qu’un corps. Il s’éveille à cette dimension d’éternité où tout se rejoint, le corps, l’esprit et l’âme, le ciel et la terre, ici et là-bas… »

«  La femme a un peu perdu contact avec elle-même, avec sa nature féminine. Les féministes de la première heure contesteraient violemment cette notion de nature féminine… Mais, pour moi, ce qui fait le fondement même de l’éternel féminin, c’est la capacité qu’a la femme à aimer, sa faculté de transfigurer le monde visible et de montrer qu’il peut prendre une autre dimension grâce à l’amour qu’elle incarne. »

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« Aujourd’hui, trop de femmes ne cherchent plus l’amour mais un homme dans leur vie. Aimer fait peur, c’est une expérience qui envahit tout l’être, le bouleverse, le déborde et le dépouille. Si l’amour vient du cœur... il dure par-delà le conflit, la séparation, le trépas. Aimer est une grâce et une gravité. ( … )

« Une femme, tout particulièrement, devrait inviter à cette aventure chevaleresque et à cette passion qu’est l’amour. Quand on considère le code de le Fin’Amor (“parfait amour”) des xiie siècle, quand on lit les poèmes et les romans courtois du XIIe et XIIIe siècles ainsi que les récits mystique des Fidèles d’Amour persans, c’est toujours la Dame - une femme “sage et belle”, autant dire éveillée - qui inspire et oriente chevaliers et troubadours dans leur quête. »

(… ) l’amour humain est d’abord une union mystique des âmes et des esprits. Ensuite seulement, et comme de surcroît, l’union des corps peut s’accomplir, tels un cantique et une prière.

«  Vivre est un risque permanent et passionnant, une aventure pleine d’imprévus. Tous les héros des mythes naviguent sur des mers déchaînées, traversent des forêts peuplées de brigands et de monstres, découvrent des territoires inconnus, hostiles... » (… ) Avoir une “bonne vie”, c’est tout embrasser, ne rien rejeter, c’est avoir envie de tout bénir, de tout serrer sur son cœur...

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«  Qui a imaginé le conte de La Belle au bois dormant, de la jeune fille passive attendant que le courageux prince la réveille ? Dans nombre de traditions, c’est la femme (le principe féminin) qui anime, éveille, réveille ; c’est la femme (Reine) qui va au-devant de l’homme, qui va le tenter, le séduire, le dérouter, lui faire perdre tête, ou le ressusciter. Notre époque actuelle est celle de l’homme au bois dormant, de l’homme qui attend, qui n’ose pas un geste, ou dont les sentiments sont pris en glace. » (…) L’homme au bois dormant se recroqueville, et je crains qu’il n’attende même pas une Belle : il préfère jouer avec l'Internet, feuilleter des revues érotiques. Ça n’engage pas, on en reste aux fantasmes, au désir d’un jour, tout ça est bien propre, bien ordonné, bien tranquille. » J. Kelen



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A
Etant assez beauvoirienne, je ne pense pas qu'il y ait une nature féminine ni un éternel féminin, à l'inverse de vous il me semble mais il y a quelques réflexions qui me semblent intéressantes,<br /> notamment cette scission entre l'esprit et le corps due à la religion et qui est néfaste pour la pensée occidentale. Peut-être a-t-elle condamné la sexualité au consumérisme, à la marchandisation<br /> et à la pornographie. La femme est devenue un objet par ce biais-là et subit par certains, souvent des hommes mais parfois aussi des femmes les plus grandes violences. J'écoutais le philosophe.<br /> Vincent Cespedes dit que le féminisme est un humanisme et que tout homme ou femme devrait l'être. Il semblerait que vous soyiez un humaniste !
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P
<br /> <br /> Il y a des expressions culturelles du féminin, mais le féminin me semble provenir d'en deçà... Ce serait de l'ordre de l'archétype... Le féminisme me semble pouvoir devenir un humanisme, s'il<br /> permet à l'humain de retrouver l'origine de sa véritable nature: la féminité pour l'une , la masculinité pour l'autre ( schématiquement ...) Et, ce qui peut transcender cette "nature", c'est la<br /> rencontre de l'une avec l'autre... Cette rencontre n'est-elle pas l'un des enjeux de notre liberté ( avec l'action politique ...etc ) Bref ... C'est de l'existentialisme ! ..:-) Je mélange<br /> peut-être un peu tout ...<br /> <br /> <br /> <br />