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Henriette de Bonnières, selon Renoir, Tissot, Blanche ...

Publié le par Perceval

Henriette de Bonnières (1854-1906), est l'épouse du romancier et critique du Figaro Robert de Bonnières (1850-1905)

Nous connaissons d'elle, en particulier, son portrait par Auguste Renoir (1841–1919) ; elle a alors 35ans.

D’autres artistes, aux styles les plus divers, tels Blanche, Tissot, Helleu, Forain et Besnard feront également le portrait de la belle Henriette de Bonnières.

« Renoir, qui n’est pas très satisfait de son portrait, se heurte à la difficulté de fixer ce visage au teint pâle et cette silhouette gracile bien éloignée du canon de beauté qu’il affectionne, celui des jeunes filles de Montmartre aux formes pleines et aux joues colorées. Dans ce singulier tableau, l’audace des couleurs, aux touches vibrantes, contraste avec l’aspect conventionnel de la mise en scène dans un intérieur bourgeois. » Notice du Petit-Palais

par J-E Blanche

Écoutons ce qu'en a dit Renoir, lui-même :

« Je fis la connaissance de Wyzewa, et, par son intermédiaire, Robert de Bonnières devait, plus tard, me commander le portrait de sa femme. Par exemple, je ne me souviens pas d'avoir jamais fait de toile qui m'ait plus embêté ! Vous savez si j'aime peindre une peau qui ne prend pas la lumière! Par surcroît, la mode, à ce moment-là, pour les femmes, était d'être pâles. Et Madame de Bonnières était, bien entendu, d'une pâleur de cire. Je me disais toujours : « Si elle pouvait seulement, une fois, se « coller un bon beefsteak ! » Mais va te faire fiche !

Je travaillais le matin jusqu'au déjeuner ; j'avais ainsi l'occasion de voir ce qu'on apportait à manger à mon modèle: une toute petite affaire dans le fond d'une assiette... Vous pensez si c'était fait pour donner du, rouge à la peau. Et les mains ! Madame de Bonnières les mettait dans l'eau, avant la séance, pour en accentuer la blancheur. Sans Wyzewa, qui passait son temps à me remonter, j'aurais jeté par la fenêtre les tubes, les pinceaux, ma boîte à couleurs, la toile, tout le diable et son train. Voyez ! Je tombe sur une des femmes les plus charmantes qui soient, eh bien, elle ne veut pas avoir des couleurs aux joues ! » Auguste Renoir cité par Ambroise Vollard (1920)

Jacques-Emile Blanche ( ) également l'a rencontré et peinte : « La jolie madame de Bonnières était peinte par Besnard, par Renoir; chez elle, je vis les premiers marbres de Rodin » 

James Tissot, Mme de Bonnières, 1880

Et, Jacques Joseph Tissot (français, 1836-1902) a exécuté ce portrait d'Henriette de Bonnières en les années 1880...

( née Henriette Arnand Jeanti) et mariée, donc, à Robert de Bonnières, journaliste influent du journal Le Gaulois. Dans les deux dernières décennies du siècle, elle accueillit un salon littéraire réputé, qui recevait des personnalités telles que Alphonse Daudet, Anatole France, Henri de Régnier et José Maria de Heredia. Elle était également amie de nombreux peintres..

 

Robert de Bonnières de Wierre, se prépare à une carrière diplomatique. Il effectue avec sa femme un long voyage en Inde, dont les souvenirs seront la source de son roman Le Baiser de Maïna, publié en 1886, et qu’il situe à Bénarès...

Amateur d'art, de peinture, et de musique, en particulier de Gabriel Fauré, il organise des soirées musicales dans son appartement. Il participe au projet du Parnasse contemporain comme la plupart des poètes du moment. Critique littéraire, il publie un recueil en trois volumes, Mémoires d’aujourd’hui, édité entre 1883 et 1888, qui reste son ouvrage le plus célèbre et demeure une mine d’informations sur l’histoire littéraire de l’époque. Poète du merveilleux, il écrit de nombreux contes...

Robert de Bonnières

Terminons avec les potins du moment avec ce qu'en dit Camille Mauclair (1872-1945) -  un poète, romancier, historien d'art et critique littéraire français. Nb (Il fut un vichyste convaincu, chantre de l'antisémitisme sous l'Occupation.). Extrait de ''Servitude et Grandeur littéraires, souvenirs d'arts et de lettres de 1890 à 1900, le symbolisme, les théâtres d'avant-garde, peintres, musiciens, l'anarchisme et le dreyfusisme, l'arrivisme, etc., 1922

'« J'avais d'ailleurs une antipathie plus vive encore pour les amateurs qui se mêlaient à ces figurants sans avoir même l'excuse du besoin do vivoter, et je me souviens par exemple d'avoir éprouvé une haine féroce pour le couple Bonnières, qu'on voyait partout. Robert de Bonnières était un cercleux d'aspect rogue, qui regardait chacun en louchant, ne disant que des méchancetés, et publiait des piles de romans illisibles Madame de Bonnières était une femme livide, serpentine et incroyablement maigre, avec des cheveux blonds moussant sur une petite tête en ivoire. Elle susurrait des propos aigre-doux et un jour je l'entendis déclarer d'un air supérieur : « Je traduis Nietzsche, ma chère. C'est un philosophe dont le génie va tout bouleverser ». Il y eut une rumeur d'admiration et quelqu'un se hasarda : « Ah ! vraiment ! Et quelle est sa théorie ? »

Je ne peux rien vous en dire, sinon ceci : « il nie le phénomène ! » Cette femme étonnante et son mari, ruinés, disparurent plus tard du monde où ils avaient brillé, et périrent tragiquement. Je me juge aujourd'hui bien puéril de les avoir délestés. Mais je ne suis pas encore parvenu à comprendre ce que cette personne voulait dire, si vraiment elle avait entrepris de traduire Nietzsche alors inconnu. Peut-être voulait-elle parler du noumène Kantien? Quand j'ai étudié Nietzsche, je n'ai jamais pu imaginer sans fou rire quelle joyeuse traduction nous en eût été donnée là: et le « il nie le phénomène », qui avait failli me faire choir de stupeur, est resté pour moi l'emblème des amateurs intrus dans les lettres. Je n'ai pas éprouvé une répulsion moindre pour les « thés littéraires » où des femmes de lettres s'appuient à la cheminée pour bramer des vers pathétiques; oh! les sirènes de five o'clock! Ces pâtisseries lyriques où l'on ne goûte bien ni poésie ni gâteaux m'inspirèrent toujours le plus sombre ennui et le désir irrésistible de l'escalier. »

La misogynie s'invite chez Goncourt, qui se montre fort sévère pour les compétences artistiques d'Henriette :  « En voyant toucher avec des doigts si bêtes mes bibelots par ce joli animal qui s'appelle Mme de Bonnières, j'étais furieux de montrer ce choses à pareille femmelette... (…) L'ignorance de cuisinière de cette petite femme qui a des prétentions à l'art, à la littérature est vraiment extraordinaire » ( 2 mai 1886)

Je préfère garder ce que disait Barrès au journaliste Lucien Corpechot : « On ne dira jamais assez les services qu'une maison comme celle des Bonnières rendit aux écrivains de ma génération. Dans l'atmosphère d'Henriette et Robert de Bonnières, notre goût s'est aiguisé et celui du public s'est habitué aux nouveautés que des poètes comme Mallarmé ou Henri de Régnier apportaient à leurs lecteurs. » Les Bonnières qui habitaient avenue de Villars, se voulaient en effet les protecteurs des jeunes écrivains, tous deux très au courant des nouveautés, encourageaient les vocations et contribuaient à faire connaître dans le monde les nouveaux talents. (sources : AnneMartin-Fugier : Les salons de la IIIe République)

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