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Germaine de Staël – La Conversation à Coppet

Publié le par Perceval

Germaine de Staël – La Conversation à Coppet
Germaine de Staël – La Conversation à Coppet

Revenons, avec Germaine de Staël, en été 1794 : Après la chute de Robespierre... C'est le 26 septembre 1794 qu'a lieu l'importante rencontre entre Germaine et Benjamin Constant : alors qu'elle s'éloigne de Coppet pour Mezery Constant galope impulsivement derrière son attelage, il tient absolument à converser avec elle, et quand ils arrivent à Mézery, Constant se sent lié à jamais à elle, une fascination qui va durer quinze ans.

« Je n’avais rien vu de pareil au monde. J’en devins passionnément amoureux. 
Son esprit m'éblouit, sa gaîté m’enchanta. Au bout d’une heure elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme ait peut-être jamais existé.

L’esprit le plus étendu qui ait jamais appartenu à aucune femme et peut-être à aucun homme. »

La période entre 1795 et 1799 est, pour Germaine, une période d'activités littéraires et politiques, de nouveaux amants et des changements d'adresse ; tout cela tristement réprouvé par son père... Elle se partage entre l'ambassade suédoise à Paris et (quand on l'expulse) le lac de Genève. Au printemps 1796 elle loue un ‘petit appartement’ à Ouchy ; elle se partage entre là et Coppet...

En 1796, elle publie ''De l'influence des passions''...

A l'automne 1799, le poète Chênedollé rend compte : «  Mme de Staël s’occupait alors de son ouvrage '' de la Littérature...'' ; elle en faisait un chapitre tous les matins. Elle mettait sur le tapis, à dîner, ou le soir dans le salon, l’argument du chapitre qu’elle voulait traiter, vous provoquant à causer sur ce texte-là, le parlait elle-même dans une rapide improvisation, et le lendemain le chapitre était écrit. »

En 1800 Germaine décide de passer chaque été, de mai à novembre, à Coppet. Pendant l'été 1801 Necker écrit Dernières vues, et sa fille écrit Delphine. L'été 1802 est marqué par la mort de Monsieur de Staël ; puis Germaine passe l'hiver 1802-1803 à Genève avec Benjamin Constant, se distrayant de la société des visiteurs anglais qui vivent là pendant la courte paix qui suit le Traité d'Amiens. En septembre elle voit son père pour la dernière fois alors qu'elle quitte Coppet pour entamer son voyage vers l'Allemagne.

Necker meurt le 9 avril 1804. Germaine apprend la nouvelle à Weimar ; le 19 mai, elle retourne à Coppet, avec son groupe d'amis dont Constant.

Chez Germaine de Staël - Coppet

Elle est désormais la seule propriétaire : de 1804 à 1810 Coppet connaît des années dorées avec son train de vie brillant, vivant et excentrique, ses célèbres représentations théâtrales amateur, ses invités littéraires et philosophes et ses amants qui viennent de partout en Europe...

 

« Si j’avais comme vous un bon château au bord du lac, je n’en sortirais jamais » ce sont les mots écrits par Chateaubriand à Madame de Staël en 1805 suite à sa visite...

Le ''groupe de Coppet'' n'est pas un groupe organisé comme tel, mais un ensemble de personnes aux relations intellectuelles et affectives qui expriment et défendent un faisceau commun d’idées, d’opinions et de principes qui, finalement défiaient le maître du continent : Napoléon. Mais surtout, un groupe qui faisait passer la culture européenne d'un absolutisme au mieux éclairé ( XVIIIe siècle) à la modernité du XIXe siècle.

Visite du château de Coppet - Le salon des portraits

Le goût de la conversation à Coppet, évitait quelques défauts des anciens salons : l’ignorance, la frivolité, la moquerie, l’oisiveté. Sous le Directoire, Coppet devient le refuge des indésirables à Paris... Il ne s’agit plus de contenir les excès de la Révolution, mais de résister à la tyrannie de Bonaparte.

On se démarque des ''réactionnaires'' qui ne voient dans la Révolution qu’un complot des francs-maçons et des libres penseurs. Mais, de l’autre, on estime à Coppet que tous les aspects positifs de 1789 (l’abolition des privilèges, l’égalité devant la loi, l’élaboration d’une constitution) doivent être portés à l’actif non seulement des acteurs du moment, mais aussi de toute la pensée réformiste du XVIIIe siècle, dont l'on s'inspire ...

« On croit toujours que ce sont les lumières qui font le mal, et l’on veut le réparer en faisant rétrograder la raison. Le mal des lumières ne peut se corriger qu’en acquérant plus de lumières encore » ( G de Staël - De la littérature)

A présent, il faut citer quelques participants emblématiques :

Benjamin Constant (1767-1830), Les Principes de politique (1806).

Jean C. L. de Sismondi (1773-1842), suisse... Économiste, historien... Il analyse la valeur du travail, appelle à la protection sociale des salariés... Il est l'auteur d'une Histoire des Français en 30 volumes ..

Charles Victor de Bonstetten, littérateur et philosophe suisse, (1745-1832), un peu plus âgé, il apporte au groupe sa sagesse et sa mesure, et son expérience pratique de l'administration...

Mme de Staël comme Corinne - par Vigée le Brun

Auguste Schlegel, (1767-1845) est un écrivain, poète, philosophe, critique, orientaliste et traducteur allemand et l'un des principaux théoriciens du mouvement romantique. En 1804, il devient l'amant de Germaine de Staël, séparée de Benjamin Constant, et vient vivre à Coppet

Charles François Dominique de Villers, (1765 -1815), est un écrivain français et premier traducteur de Kant. En octobre 1803, il rencontre à Metz Mme de Staël, avec laquelle il entretenait déjà une correspondance amicale et qu'il influence durablement dans ses études sur la littérature germanique. Villers devient professeur de littérature française à l'université de Göttingen..

Mathieu Jean Félicité, duc de Montmorency-Laval,(1766 -1826), est un militaire et homme politique français révolutionnaire, admirateur des « philosophes », qui se rallia ensuite à la Restauration des Bourbons. Obligé d'émigrer, il se retire en Suisse, à Coppet, auprès de madame de Staël. Telle est l'origine d'une intimité que plus tard la différence la plus prononcée d'opinions ne pourra même altérer.

Prosper de Barante (1782-1866) est un historien, écrivain et homme politique français. Il a écrit Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle, fort apprécié de Germaine. En 1804, son père étant préfet de Genève, il avait rencontré Germaine de Staël et s’était épris d’elle au point de vouloir l’épouser, à la fureur de son père... Puis,  « Il était amoureux de Mme Récamier au point de lui demander de divorcer ; il voulait l’épouser. Il était malheureux. Un soir, Mme de Staël, pleine de compassion et de sympathie, après lui avoir prodigué des consolations, trouva qu’il n’y en avait pas de meilleure que de le faire immédiatement coucher avec elle. Je tiens cela de lui. » selon Remusat … La conversation de Barante était, paraît-il, incomparable. En outre, il fut longtemps bel homme.

Wilhelm von Humboldt, Joseph-Marie de Gérando, Chateaubriand, Camille Jordan, Victor de Broglie, Juliane de Krüdener, Zacharias Werner, Claude Hochet, Elzéar de Sabran, Auguste de Prusse, Adam Gottlob Oehlenschläger, Juliette Récamier ou encore George Gordon Byron notamment tous fréquentent de façon plus ou moins marquée, et à des moments différents, cette « nébuleuse » dont Madame de Staël est considérée comme le centre. Les frères Grimm connaissent personnellement certains membres du groupe, et Juliette Récamier dispose au château de Coppet de ses propres appartements...


 

« Ce que le séjour de Ferney fut pour Voltaire, celui de Coppet l’est pour Mme de Staël, mais avec bien plus d’auréole poétique, ce nous semble, et de grandiose existence. (…) Coppet contre-balance Ferney et le détrône à demi. Nous tous du jeune siècle, nous jugeons Ferney en descendant de Coppet. La beauté du site, les bois qui l’ombragent, le sexe du poëte, l’enthousiasme qu’on y respire, l’élégance de la compagnie, la gloire des noms, les promenades du lac, les matinées du parc, les mystères et les orages inévitables qu’on suppose, tout contribue à enchanter pour nous l’image de ce séjour. Coppet, c’est l’Élysée que tous les cœurs, enfants de Jean-Jacques, eussent naturellement prêté à la châtelaine de leurs rêves. » de Sainte-Beuve, Portraits de femmes, éd. 1852.


 

Lors du bicentenaire de la disparition de Germaine de Staël. (photo: site infos de 'La Côte' )

Le Château de Coppet, près de Genève - plus brillant salon d'Europe - où il faut lutter contre deux fléaux, la solitude et l'ennui, pires que Napoléon, et que ce dernier qualifiera "d'arsenal" dirigé contre lui, et où les mécontents viennent se faire armer chevaliers. 

Germaine de Staël au Château de Coppet, sa chambre


...
« Qu'is soient invités ou convoqués, suppliés, ou qu'ils viennent d'eux-mêmes, poussés par la curiosité, les visiteurs accourent à Coppet qu'ils vont remplir pendant cette saison 1807 et celles des années suivantes de leurs conversations, de leurs projets, de leurs amours, de leurs discussions politiques, de leurs intrigues et surtout du grincement de leur plume, car tout le monde écrit à Coppet, même ceux qui, n'ayant aucune vocation littéraire, ne peuvent résister au plaisir de conter à leurs amis ou de confier à leur Journal ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent dans cette extraordinaire demeure où, certains jours, le Parnasse cotoie Charenton. »
...

 

Visite du Château de Coppet

« Tout en régentant son monde d'une main ferme, parfois despotique, dictant ses sentiments à l'un, sa conduite à l'autre, obligeant le troisième à écrire ou quelque autre à lui dire sur le champ tout ce qu'il sait d'une question à l'ordre du jour, elle respecte suffisamment les individualités, sur le plan intellectuel au moins, pour les encourager dans la voie choisie, parfois celle qu'intelligemment elle leur ouvre en leur indiquant des thèmes qui conviennent à leur talent ou, tout simplement en secouant leur paresse. Coppet prend les allures d'un pensionnat où des élèves quinquagénaires travaillent sous l'oeil attentif d'une maîtresse d'école de génie, véritable accoucheuse d'esprits."
...
"L'existence à Coppet rappelle un peu par son éclat comme par son désordre, le grand Bazar à Constantinople. Pendant la belle saison, où affluent les visiteurs, le château est un vaste caravansérail où chacun débite sa spécialité, tout en reconnaissant la suprématie de la châtelaine en tous les genres que l'on aborde. Aucun domaine ne lui est étranger ou ne l'est bien longtemps. Son intelligence, sa vivacité, son intuition lui permettent non seulement de saisir rapidement les idées d'autrui, mêmes les plus nébuleuses, mais de les assimiler au point, sinon de les faire siennes, car elle a trop d'honnêteté intellectuelle pour cela, du moins de les rendre assez claires pour les faire comprendre par ceux-là mêmes qui en sont les plus éloignés. Chez elle ce talent de vulgarisation touche au génie et surprend jusqu'à ceux qui, ayant formulé une hypothèse ou émis quelque théorie, la retrouvent, améliorée, dans la bouche ou sous la plume de leur hôtesse." » GdD

Portrait de Mme de Staël, par Mme Vigée-Lebrun

"Mme vigée-Lebrun est là, qui peint la maîtresse de maison en Corinne. Pour donner à ses traits l'expression inspirée, l'artiste la prie un jour de réciter des morceaux des tragédies classiques dont le mouvement la transfigure. A peine Mme de Staël a-t-elle achevé une tirade, que Mme vigée-Lebrun lui dit: "Récitez encore!" à quoi le modèle lui répond: "Mais vous ne m'écoutez pas!" Puis comprenant son intention, elle s'exécute de bonne grâce et recommence à déclamer des passages de Corneille ou Racine. » GdD
 

Madame_de_Staël - Vladimir Borovikovsky

«  Mme de Staël, dans les conversations générales, semblait vouloir éblouir plutôt que plaire par son esprit; rien n'était plus facile, car elle discutait sur tous les sujets avec une perspicacité rare. Elle ne "causait" jamais; improvisant des espèces de plaidoyers de son opinion quand il y avait beaucoup de monde autour d'elle, il fallait "écouter" toujours; si par hasard, dans ce mouvement de conversation, elle adressait une question, c'était avec une telle distraction, que l'on pouvait se dispenser de répondre, certain qu'elle n'écouterait pas la réponse. On état souvent entraîné à être de son avis, subjugué par son extraordinaire éloquence; tant qu'elle parlait, on pensait comme elle; il fallait en être éloigné pour s'apercevoir en réfléchissant qu'elle avait soutenu des opinions contraires à celles que l'on avait avant de l'avoir entendue. Ses impressions étaient mobiles; les objets lui paraissaient successivement sous des points de vue différents; ce qui provenait d'une impartiale sincérité, semblait quelquefois contradictoire : on aurait pu croire que par ce jeu d'esprit elle soutenait alternativement le pour et le contre.
Elle avait quarante-cinq ans quand je l'ai connue; et elle conservait tous les goûts de la jeunesse, et toute la coquetterie de toilette, qui eussent convenu à une jeune femme. Elle n'avait jamais pu avoir un visage agréable. Sa bouche et son nez étaient laid; mais ses yeux superbes exprimaient à merveille tout ce qui se succédait dans cette tête si riche en pensées élevées et énergiques. Ses mains étaient parfaites; elle avait soin de les mettre toujours en évidence, par l'habitude de tourner continuellement dans ses doigts une branche de peuplier garnie de deux ou trois feuilles, ce qui occasionnait un petit bruit qui lui plaisait. Elle prétendait que c'était "l'accompagnement obligé" de ses paroles, et qu'elle deviendrait muette si on lui ôtait sa branche chérie, qu'elle remplaçait en hiver par de petits morceaux de papiers roulés. »
Georgette Ducrest ( nièce de madame de Genlis )

 

Sources : entre autres : Ghislain de Diesbach - biographie de Madame de Staël.

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