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Le Comte de Tilly et la comtesse De *** - 2/2-

Publié le par Perceval

Alors qu'il va quitter le service de Marie-Antoinette, le jeune  Alexandre Tilly, nous raconte son aventure ... 

Suite: les Mémoires du Comte Alexandre de Tilly ( 1764-1816)
Marie-Antoinette, Sweet Lolita - Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly - Détail

Je touchais enfin à l'instant de partir pour le régiment où je servais: j'avais été conduit chez le prince de Montbarey , alors ministre de la guerre, et j'y dînai. Il y avait dans le salon cinq femmes, lorsque nous y entrâmes : je n'en connoissois que trois. Un homme qui depuis a joué un rôle fort plat dans la révolution , M. de Moreton de Chabrillant, se chargea de me présenter aux autres. J'essaierais vainement d'exprimer à quel point je fus bouleversé, en voyant des traits si reconnaissables et si présens. Il m'aurait paru digne des Petites-Maisons de croire à leur identité. Je cachai le mieux que je pus l'excès de ma surprise, et cherchai à faire le premier apprentissage du conseil si récent que j'avais reçu. Je ne pouvais cependant résister à la tentation de fixer souvent ce visage, cette taille, ces bras et ces mains, que je retrouvais chargés de bagues et de bracelets que je n'y avais pas vus: le son de la voix m'achevait. J'étais troublé comme elle aurait dû l'être. Mais, calme comme le prêtre à l'autel, elle trouva le secret de faire toute son histoire, depuis qu'elle était née, à des gens qui la savaient presque aussi bien qu'elle, visiblement pour moi qu'elle en voulait instruire, et tout cela en peu de temps et de mots, avec un art inaperçu et sans l'ombre d'affectation.

Il en résultait que, mariée à dix-huit ans à un homme avec lequel elle avait peu vécu, elle était venue, après être restée trois ans en province, retrouver à Paris sa mère, logée au Luxembourg, qui avait une place à Versailles, et la lui avait fait obtenir. Elle en remplissait les devoirs depuis quelque temps. Je n'eus pas la force de dire un mot. On eut la bonté de me trouver un joli garçon, bien modeste, et du plus agréable maintien; on aurait pu ajouter que ce petit monsieur était bien sobre, car il n'en dîna pas.

Quand on fut repassé, j'essayai de lui adresser la parole, elle me répondit, d'un air distrait, par des monosyllabes. Je la trouvai fort impertinente, et ne savais plus si je ne m'étais pas trompé. Dans un instant où je la fixais, elle inclina la tête comme pour dire « oui », mais je n'avais garde alors de prendre cela pour une réponse à une demande que je n'avais pas faite. Elle s'en aperçut fort bien, et, plusieurs personnes regardant une fort belle pendule, qui paraissait être nouvellement dans l'appartement, et, en louant le travail, elle se leva avec un air d'impatience, elle s'en approcha, comme pour la voir plus à son aise; son doigt sur le cadran se trouva placé sur dix, en me jetant un regard qui, dans sa rapidité, n'était intelligible que pour moi. Quelques minutes après, parlant avec la comtesse de Blot, sa voix plus élevée prononça plus distinctement : « Je crois que c'est dans la rue de l'Orangerie. » Mais bientôt s'étant remise à parler bas, le dernier mot qu'elle articula tout haut fut « Demain. »

de Louis Charles Auguste Couder

Comment croire encore que je m'étais mépris? il n'y avait plus moyen d'imaginer que ce fut un songe.

On devine que lendemain je fus exact au rendez-vous que j'étais convaincu qu'on m'avait donné. J'y arrivai le premier, mais on ne m'y fit pas attendre. Un moment je la serrai contre mon cœur, puis j'eus envie de l'en repousser. Tenant mon bras elle m'entraînait. Je lui parlais sans en obtenir de réponse... Nous sommes enfin dans la même chambre.

- Par quel hasard vous retrouvé-je, se hâta-t-elle de me dire?

- Quels discours me tenez-vous, je n'y entends rien. Comment, répliquai-je, je n'ai pas diné avec vous hier?

- Avec moi! Où donc?

- Chez le prince de Montbarey, et vous n'êtes pas la comtesse De ***?

- Quel conte des Mille et une Nuits me faites-vous là? Vous êtes malade!

- Mais, venez donc ici. Ah ! vous ne me tromperez plus, c'est bien vous... Mais, est-il » possible? Car Oui .. Oh! Oui ..C'est vrai, trop vrai C'est vous.

- Que vous êtes ridicule! Cherchez-vous à vous exalter par des chimères? A votre aise,. grand bien vous fasse!

- Comment?

- Allons, vous êtes fou.

Comme j'étais au moins fort assuré qu'elle était là, je passai à des occupations plus positives: elle eut l'air aussi fort occupée.

source: Jean-Michel Moreau, appelé Moreau Le Jeune

Je demande pardon si je tombe moi-même dans le défaut que j'ai condamné dans les écrivains qui nous ont inondés, depuis cinquante ans, de romans écrits avec licence, et surtout de mauvais ton, qu'ils ont cru être le meilleur, qu'ils ont fait accroire être le bon à toutes les classes inférieures et surtout aux étrangers, comme je l'ai dit. Mais moi, je n'ai pas le choix: j'écris la vérité , je la pare du voile le moins diaphane, ne pouvant la dérober. Mais je ne tomberai pas dans l'involontaire absurdité de vouloir comme ces Messieurs persuader que les vices cachés du grand monde en étaient les mœurs publiques, que quelques conversations folles de quelques boudoirs étaient celles des salons, et qu'un certain monde n'était composé, à les en croire, que de freluquets et de caillettes qui ne communiquaient entre eux que par le plus bizarre et le plus inconcevable des jargons; qu'enfin l'école de la politesse et du goût, la plus grande compagnie de France, auroit été, à en juger d'après les portraits qu'ils en ont faits de bonne foi, des trétaux de grossièretés légères ou d'élégantes absurdités. Ce sont toutes ces peintures, d'un goût détestable, qui sont plus à improuver que quelques récits isolés de quelques actes cachés d'immoralité ou de libertinage, qui ne sont pas une merveille ou une nouveauté dans ce siècle qui ne se défend par aucune pudeur de tout entendre, et ne laisse aucun mérite et aucun tort à tout dire.

Je reviens à cette chambre où j'étais enfermé , et d'où j'ai fait cette excursion sur quelques auteurs ( deux surtout que j'ai fort connus, et l'un, particulièrement estimable, MM. Dorat et Marmontel ) qui n'ont ouvert qu'une école de portraits de fantaisie, où leurs élèves n'ont pu que se corrompre et se tromper.

Tout finit ici-bas ; il fallait se séparer de la sirène qui m'avait séduit.

- Je n'ai pas été contente, dit-elle sans préambule et d'un air distrait, de votre premier mouvement chez M. de Montbarey. Je vous l'aurais encore pardonné si vous aviez eu le bon sens de vous remettre, mais j'aurais pu me déconcerter de votre embarras ; avec de l'esprit il est impossible d'être plus gauche.

- Enfin, madame, c'est donc vous!

- Vous le voyez bien.

- Permettez-moi de vous faire une question: la première fois que je vous ai rencontrée, vous ne pouviez pas deviner que j'étais là... Me cherchiez-vous?

- Je cherchais le plaisir.

- A qui en vouliez-vous?

- Au premier qui me plairait.

- Grands dieux! m'écriai-je, ne pouvant dissimuler une espèce d'effroi...

- Il est fort plaisant, reprit-elle sans se déconcerter, que vous autres hommes veuilliez que tout vous soit permis, après nous avoir presque tout défendu. Nous n'avons qu'un moyen de reconquérir nos droits, c'est de faire en secret ce que vous vous enorgueillissez de » faire en public.

- Mais vous vous perdrez.

- Oh que non ! Les demi-fautes perdent, mais presque jamais les extrêmes, car on n'y croit pas. Pensez-vous, d'ailleurs, que je sois comme vous, et que je manque tout-à-fait d'adresse? Allons, n'ayez pas cet air contrit, et ce maintien d'une pensionnaire. Vous seriez, sans vos grands principes, un amant très-désirable. Mais à présent que vous me connaissez, je ne suis plus digne de vous; si nous nous rencontrons dans le monde, je vous admirerai comme une jolie fille timide vêtue en homme, et vous aurez pour moi la considération que vous devez à une femme forte, qui s'est un peu faite de votre sexe, mais qui ne renoncera jamais en public à la décence, qui est le premier ornement du sien.

J'étais stupéfait; j'étais sans voix. Elle m'embrassait; sa logique ne me persuadait pas, mais elle entraînait mes sens, en dépit de ma raison, par un attrait supérieur à ma résistance.

- Hélas! lui dis-je enfin, je suis bien coupable, car j'en adore une autre.

- Racontez-moi cela, dit-elle.

- Quelle idée auriez-vous de moi? ne craindriez-vous pas que je ne fusse pas plus discret sur votre compte avec une autre.

- C'est vrai; mais ce n'est pas la même chose: le sentiment dont vous me parlez a quelque chose de respectable, et mon aventure avec vous est honteuse, et sort de la règle commune.

- Vous avez donc une conscience et des remords?

- Sans doute; je me cache comme je ferais, si je m'enivrais dans ma chambre avec du vin de Champagne: il n'y a pas plus de crime à l'un qu'à l'autre, mais le scandale est toujours un grand mal. Le ridicule et la folie sont dans le fond à l'ordre du jour en ce bas monde: il n'y a que les apparences qui méritent d'être traitées sérieusement.

- Miséricorde! où en avez-vous tant appris?

- Dans mes réflexions et dans mon cœur.

- Je ne puis vous en faire mon compliment.

- Adieu ( me mettant la main sur les yeux ); oubliez une grande moitié de tout ceci, mais ressouvenez-vous cependant un peu de moi.

- Je ne suis pas le maître de vous oublier.

- Faut-il que je vous remercie?

- Comme vous voudrez.

- Bonsoir... Je vous préviens que je veux vous garder un sentiment qui ressemblera tout-à-fait à de l'amitié.

- Et moi, de la reconnaissance : à tout prendre, je vous en dois. Adieu.

- Adieu. »

Si cette anecdote paraissait fabuleuse ou exagérée , je ne m'en plaindrais pas, je ne pourrais que dire aux incrédules, que j'ai hésité à la consigner dans ces Mémoires, où j'atteste l'honneur qu'il n'y aura pas une ligne, un mot contraire à la vérité, à moins que ce ne soit un tort involontaire de ma mémoire en défaut.

J'ajouterai que la France n'a pas été le seul théâtre de scènes aussi scandaleuses, et que je suis particulièrement lié avec un officier général étranger, dont il m'est impossible de révoquer en doute la véracité, à qui la même aventure, aux détails près, est arrivée avec une des femmes les plus considérables d'une des premières capitales de l'Europe. Que cela prouve-t-il ? qu'il y a des femmes très-corrompues dans toutes les classes, comme il y en a eu de vertueuses dans tous les temps et dans tous les pays. Mais que partout, celles qui appartiennent aux ordres les plus distingués de la société agissent et parlent, extérieurement au moins, avec la décence et la dignité de leur état; que, quels que soient leurs penchans et leurs mœurs, elles attendent et méritent autant d'égards des hommes bien élevés, que les plus vertueuses de leur sexe; et que comme elles ont l'hypocrisie des mêmes vertus, elles prétendent aux apparences des mêmes respects; et qu'enfin le monde fait justice de ceux et de celles qui s'éloignent des formes qu'il a consacrées dans le cercle, des habitudes sociales tant pour les discours que pour la conduite.

Je dirai, pour pallier les torts de la femme dont j'ai parlé, s'il est possible à présent de rien articuler en son honneur, que je l'ai revue plusieurs années après, liée avec un homme fort connu , mais très-peu agréable, qu'elle avait le mauvais goût d'aimer, qui avait pour elle une passion, démesurée, et auquel elle était aussi fidèle que s'il eût été son premier amour. Sans doute aussi était-il le premier qui eût trouvé la route de son cœur. Je me souviens d'avoir passé entre eux deux à Bruxelles, la plus ennuyeuse soirée de ma vie; quoiqu'elle eût infiniment d'esprit, et de plusieurs sortes d'esprit, j'eus le contre-coup de toutes les fadeurs de la Bergerie : ils oubliaient que j'étais là. Elle avait oublié Versailles.

Le système moral est comme l'organisation physique: il a des maladies dont il peut guérir.

 Noms des personnes qui composent ce tableau dans l’ordre où elles y sont placées par Carmontelle : Madame la Comtesse de Polignac / Monsieur le Duc d’Orléans alors Duc de Chartres / Madame la Marquise de Clermont [est à la table] / Madame la Comtesse de Blot [est à genoux] / Monseigneur le Duc d’Orléans grand Père / Madame la Marquise de Montesson [est debout derrière le fauteuil / Madame la Duchesse d’Orléans / alors Duchesse de Chartres / Madame la Comtesse de Genlis. 


 

Je n'étais pas à la veille de quitter Paris et Versailles, pour une garnison obscure, pour Falaise, sans donner bien des regrets à tant de souvenirs, qui avaient déjà rempli ma vie. La Reine, de qui je fus prendre congé, m'assura d'une protection qu'elle ne m'a pas toujours accordée, et d'une bonté qu'elle n'a pas toujours eue : mais elle le pensait au moment où elle daigna m'en assurer.

Elle avait éprouvé une peine très-vive, il y avait quelques jours, dont elle était encore sensiblement touchée, et qui pourra donner une idée de son cœur, et prouver à quel point il eût été facile , avec des conseils et des entours dignes d'elle, de la faire autant aimer de la nation, qu'elle désirait de l'être : le désirer si ardemment , c'était déjà le mériter. Elle me fit l'honneur de me demander si j'avais été à l'opéra, la dernière fois qu'elle y était venue (deux ou trois jours auparavant).

- Oui, madame.

- Pourquoi ai-je été à peine applaudie? que leur ai-je fait?

- Je n'ai pas remarqué que la Reine....

- Il est impossible que vous ne vous en soyez pas aperçu.... au reste, en vérité, tant pis pour le peuple de Paris : ce n'est pas ma faute.

- Votre Majesté attache trop de prix (quelques larmes roulaient dans ses yeux) à ce qui peut n'être que l'effet du hasard, et d'ailleurs, si la Reine me permet de le dire, dans un rang aussi élevé que le sien, il ne faudrait s'affliger que du bien qu'on ne fait pas, et du mal qu'on ne peut empêcher.

- De très belles phrases pour un étourdi ! mais quand on n'a rien à se reprocher.... cela fait bien mal !

Je ne pensais guère en la quittant, que déjà c'étaient de faibles éclairs, précurseurs de la foudre qui a pulvérisé ce trône où elle avait cru que c'était la première faveur de la fortune, de la faire asseoir.

Extrait de : ''Mémoires du Comte Alexandre de Tilly, pour servir à l'histoire des mœurs...'' T.1, Chap V

extrait de la Bande-Dessinée Marie-Antoinette

 

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