Les Blasons anatomiques du corps féminin.
A la Renaissance, il est à la mode de proposer de petits poèmes à la louange d'une partie du corps féminin … Cela s’appelle un ''blason ''. ( L'inverse satyrique est le contre-blason...)
Le point de départ de cette mode poétique des blasons et des contreblasons est le célèbre « Blason du Beau Tétin » de Clément Marot (1496-1544).
Le Beau Tetin
Tetin refaict, plus blanc qu'un oeuf, Tetin de satin blanc tout neuf, Tetin qui fait honte à la rose, Tetin plus beau que nulle chose ; Tetin dur, non pas Tetin, voyre, Mais petite boule d'Ivoire, Au milieu duquel est assise Une fraize ou une cerise, Que nul ne voit, ne touche aussi, Mais je gaige qu'il est ainsi. Tetin donc au petit bout rouge Tetin quijamais ne se bouge, Soit pour venir, soit pour aller, Soit pour courir, soit pour baller. Tetin gauche, tetin mignon, Tousjours loing de son compaignon, Tetin qui porte temoignaige Du demourant du personnage. | Quand on te voit il vient à mainctz Clément Marot - Épigrammes, 1535. |
À sa suite, une quinzaine de poètes français se lancent dans ce genre poétique et détaillent une à une les différentes parties du corps féminin. Le blason connaît en France un succès éditorial certain autour des années 1536-1554.
Entre toutes ces pièces de vers, Clément Marot fit un choix et publia pour la première fois Les Blasons anatomiques du corps féminin en annexe de l’Hecatomphile d’Alberti en 1536... Certaines éditions indépendantes s’augmentent de « Contreblasons», ajoutés par Charles de La Hueterie en 1543
Paris Pour Charles Langelier, 1543 - Blasons
Cette poésie amoureuse correspond à un monument de mots en l'honneur de la ''Femme'', inaccessible, idéalisée, dont la beauté est un symbole de perfection spirituelle …
La renaissance redécouvre le corps humain, qu'une vision médiévale chrétienne rejetait comme signe de la ''Chute'' et de la ''Vanité''...
Le poète donne à voir … son imagination. Il joue de l'analogie entre le tout et ses parties. Ce démantèlement profite à une image désincarnée et sublimée de la femme.
On peut penser, que le corps plein, échappe à toute tentative de saisie, qu'il se dérobe au regard masculin... Alors, le fractionner, c'est le maîtriser... : Entreprise illusoire … ! Ce corps n'est alors qu'une fiction, voilà pourquoi il intéresse la littérature... Le lecteur, peut-être, lui redonnera vie...
Zeuxis choisissant ses modèles... Harley MS 4425, f. 142r / Victor Mottez,(1858), / Eleuterio Pagliano / Pietro Michis / Vincent, François-André (1746-1816)
Zeuxis d’Héraclée (464-398 av. J.-C.) était un spécialiste du ''trompe-l'oeil'', du réalisme en peinture … On fait appel à lui pour décorer les façades du temple d’Héra Lacinia, érigé à Crotone, en Italie du Sud. Il se propose d’y peindre l’idéal de la beauté féminine : une représentation d’Hélène de Troie...
Cicéron (106–43 av. J.-C.) nous raconte la fin de cette histoire : « Par décision officielle, ils réunirent les jeunes filles en un seul lieu, et autorisèrent le peintre à choisir librement parmi elles. Il n’en retint que cinq, dont maint poète nous a transmis les noms pour avoir obtenu les suffrages du maître le plus capable d’apprécier la beauté. Il ne crut pas pouvoir découvrir en un modèle unique tout son idéal de la beauté parfaite, parce qu’en aucun individu la nature n’a réalisé la perfection absolue ».
Pline l’Ancien (23-79) qui reprend la même anecdote, précise quant à lui, « qu’avant d’y travailler [à sa représentation de la beauté absolue], il obtint, de voir leurs filles nues, parmi lesquelles il en choisit cinq, pour en extraire et rassembler dans la Junon ce qu’il jugea de plus beau en chacune ».
Pour en revenir aux blasons, j'ai lu que cette évocation du corps en blasons, découpé en métaphores, est un un peu comme un livre découpé en chapitres …
Montaigne, lui-même n'écrit-il pas : « je suis moy-mesme la matiere de mon livre» ? Et, Geoffroy Tory élabore ainsi des unités lettriques à l’image du corps humain...