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Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912

Publié le par Perceval

Les trois robes neuves, paru dans L'Illustration en 1913.

Les trois robes neuves, paru dans L'Illustration en 1913.

L'écrivain Pierre Corrard publie à partir de 1912, et à raison d'un numéro par an, Modes et Manières d'Aujourd'hui. Une revue de luxe, qui fait émerger une nouvelle génération d’illustrateurs comme Georges Lepape, Bernard Boutet ..etc

Au total, entre 1912 et 1922, ce seront sept albums édités. Cette série réunit les écrits poétiques des écrivains en vue tels Paul Valéry, Gérard d'Houville, Tristan Bernard... et les dessins des plus fameux illustrateurs comme Georges Lepape, George Barbier, Robert Bonfils, Charles Martin, André-E. Marty...

Ces albums richement coloriés au pochoir, gravés et, pour certains, complétés d'aquarelles originales sont un témoignage précieux sur les mœurs, modes et comportements à l'aube du XXe siècle.

 

Ces 12 compositions sont réalisées au pochoir, et proposent des toilettes féminines très inspirées de Paul POIRET, dans un style persano-oriental.

Georges Lepape en 1913

 

Georges Lepape est né en 1887. A dix-huit ans il entre à l'Ecole des Beaux-Arts. À 20 ans, Lepape a déjà tissé de solides liens avec des artistes aussi notables que Georges Braque, Marie Laurencin, Bernard Boutet de Monval, André Marty et Charles Martin. Ses premières soumissions au Salon remontent à l'année précédant son mariage avec Gabrielle Lauzanne en 1909, et ce n'est qu'un an plus tard qu'il forme sa collaboration historique avec Paul Poiret. Au cours des dix prochaines années, Poiret deviendra le premier designer de haute couture de Paris et Lepape sera reconnu comme l'un des illustrateurs de mode les plus brillants au monde.

En 1920, Lepape est au sommet de sa profession. Il a accompli une décennie prolifique de travail, en incluant des illustrations pour les maisons de Worth, Lanvin, Paquin, Doucet, Beer parmi d'autres, le travail de couverture pour Harpers Bazaar et la première couverture pour Vogue Magazine (Oct.1916, édition anglaise)... Il réalise des illustrations pour des programmes de théâtre (notamment pour les Ballets Russes), costumes et décors pour Marcel L'Herbier et une série d'affiches pour les Galeries Lafayette.

En 1920, le Musée des Arts Décoratifs organise la première grande exposition du travail de Lepape. 

Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape (1911)

Condé Nast invite Lepape à New York en 1926, consolidant ainsi une relation longue et fructueuse avec Vogue qui reprend la Gazette du Bon Ton. Il a illustré huit des couvertures Vogue en 1927 ainsi que des couvertures pour Vanity Fair, tout en continuant d'élargir sa liste de clients pour inclure Hermes, Wanamaker's Department Store et Femina Magazine, entre autres, et d'accroître sa visibilité dans le monde théâtral. 

George Lepape est resté un artiste ouvrier prolifique et recherché jusqu'à sa mort, à l'âge de 84 ans, le 15 février 1971. Ses œuvres ont été exposées dans plusieurs grandes expositions dont le Palais Grenvelle en 1963, le Musée des Arts Décoratifs à nouveau en 1966 et à l'Institut des Arts de Minneapolis en 1971.

Paul Poiret

 

Ceci est un pochoir de la main couleur et plaque-signé du livre "Les Choses de Paul Poiret". Poiret était le grand designer de haute couture qui a commandé ce livre phare à G. Lepape pour le publier le 15 février 1911. Les deux albums uniques de Poiret, en collaboration avec Iribe et Lepape, ont préparé le terrain pour les 20 prochaines années - l'âge d'or de la mode - et sont aujourd'hui considérés comme des pièces séminales du design Art Déco. 

 

Le texte c-dessous est de Pierre Corrard (1877-1914), il sera tué le 21 novembre 1914 en forêt d'Argonne sur le plateau de Bolante.

 

Premier Numéro de 1912 :

MODES ET MANIÈRES D'AUJOURD'HUI

GEORGES LEPAPE PEIGNIT CES 12 GOUACHES, PIERRE CORRARD FIT LA PRÉFACE ET LES LÉGENDES.

 

« Leurs allures tanagréennes semblaient le rythme des petites vagues dont s'amusaient leurs pieds nus. Toutes trois marchaient sur le sable, le long de la mer, et l'on aurait dit qu'elles dansaient... Et tout d'un coup, elles s'arrêtèrent toutes les trois, et, ayant ramassé des galets plats, elles firent sur l'eau tranquille des ricochets... »

Pochoir - Peinture à la gouache La coiffe turban était la marque de Paul Poiret.

Et je conçus, en allégresse, la pensée de cet ouvrage.

Je les regardais tout le temps que je pus les voir, afin d'en imprégner mes yeux. Mais le Soir jaloux s'accroissait, maintenant rapide. Il me les prit bientôt toutes, et c'est dans la nuit que je les soupçonnai qui s'en allaient le long des vagues, dont les franges d'écume se pressaient à leurs pieds, ainsi que des offrandes successives.

Elles s'en allaient, et il me parut que leur cadence avait, dans la nuit, pris de la gravité.

Peut-être convenait-il de rappeler au seuil de cet ouvrage quelle en fut l'occasion, afin qu'on en saisît mieux l'esprit.

Ce recueil de Parures et d'Attitudes, qui fut conçu en une minute d'émotion religieuse, et auquel ont collaboré le talent précieux d'un peintre et la dévotion d'un admirateur passionné de la femme, j'ai fait le rêve qu'il fût un poème; ou plus simplement un livre d'heures, élégamment enluminé, qui célébrât la femme, Divinité souveraine et victorieuse.

A la vérité d'autres considérations, d'un caractère plus rationnel, et pour cela tout à fait secondaires, m'ont influencé.

J'imagine qu'un historien, qui serait un psychologue et voudrait pénétrer, derrière le profil froid des faits, l'âme vibrante des époques, ne saurait y réussir mieux que par l'observation du costume.

Le costume exprime très clairement la mentalité des gens : je le soupçonne de la créer bien des fois et de l'influencer toujours. Nul ne saurait être absolument dépourvu d'élégances intellectuelles ou sentimentales dans un élégant vêtement, et je me garderais bien de sourire de M. Leclerc de Buffon, quand il mettait pour écrire plus soigneusement des manchettes en dentelle.

L'habit fait le moine. Pour les timorés que cela fâche et contrarie dans leurs habitudes de voir travestir un proverbe, communément reçu, mettons que l'habit révèle le moine. Les concessions sont la condition de la politesse.

Tout de même, et si je manquais de mesure, à la manière d'un politicien, je vous démontrerais, non sans emphase, que les accidents historiques les plus considérables furent provoqués par les mœurs, et que les mœurs sont si intimement liées au port et le port au costume, qu'il serait d'une subtilité stérile d'en vouloir départager les mutuelles influences.

Imprimé pochoir - mode parisienne 1912 Art déco. Le sujet est la ''nouvelle» femme ''- mystérieuse, sûre d'elle. Elle porte son 'entracte' et de sa loge contemple un '' je ne sais quoi ''

La science de la Mode, volontiers méprisée ou niée par la plupart des gens graves, ne serait-elle pas la plus profitable à la compréhension des individus et des mouvements sociaux?

Ne serait-il pas utile de noter, chaque année, non pas seulement les costumes, mais encore les gestes et les manières à la mode?

Et ne prévoyez-vous pas l'intérêt que peut prendre dans la suite une collection d'ouvrages comme celui-ci, qui, paraissant chaque année, sans que le succès puisse jamais influencer le tirage, témoignera de nos mœurs, et deviendra le répertoire le plus précieux que puissent désirer les Artistes, les Moralistes, les Historiens et les Curieux.

 

Des gens s'en vont par les rues, répétant, les bras ballants et la mine assombrie : « Il n'y a plus d'Art, nous sommes en décadence... »

Je me souviens moi-même, certains soirs brûlants d'été, tandis que l'air chaud de la campagne, chargé d'innombrables germes de vie, pénétrait parla fenêtre désespérément ouverte et m'étouffait, d'avoir connu le sentiment de la stérilité, l'impression qu'on vit en un temps mort. Mais tout aussitôt se sont levées en moi les révoltes salutaires et les certitudes victorieuses d'être un peu de la poussière que soulève sur la route un cortège triomphal.

Aussi, quand de plus jeunes que moi se demandent avec inquiétude: « Ne sommes-nous pas en décadence?» je leur réponds en souriant : « Regardez donc la Femme, et vous connaîtrez à la voir que c'est en pleine Renaissance que nous sommes».

Car la Femme est l'éternelle occasion d'art. Elle influença l'antiquité grecque, elle inspira, sous la conception délicate de la Vierge, l'époque médiévale, et c'est à elle que nos cathédrales doivent leur allégresse. Vous la retrouvez partout, divine inspiratrice, éternel objet de nos préoccupations, qu'on la nomme Isis, Mylitta, Ischuari, Aphrodite, la Vierge, ou tout simplement, comme de nos jours, la Femme.

Toutes les époques d'élégance de la Femme furent des époques d'épanouissement d'art.

C'est elle, en effet, qui crée l'ambiance, qui nécessite tel meuble, tel bibelot, tel bijou : c'est pour elle, pour la compléter ou la mettre en valeur, que nous travaillons tous en ce moment. Aussi, les Arts - à l'exception de quelques-uns qui sommeillent encore, parce que la Femme moderne ne les a pas encore influencés : l'architecture, par exemple - sont en marche vigoureuse vers des conceptions neuves.

Une élite d'hommes s'est dressée, en peinture, en joaillerie, en décoration, en mode, de qui les noms trop nombreux me viennent à la plume, et à qui je veux rendre hommage au seuil d'une œuvre tout imprégnée de leur génie.

La mode féminine actuelle, essentiellement traditionnaliste, bien que d'une très puissante originalité, s'inspire du classicisme antique, dont elle partage le goût pour la ligne. Elle y mêle un brin de cette inexprimable fantaisie française, qui nous valut déjà une époque amusante, le Directoire. Mais plus sûre d'elle-même, elle est aujourd'hui plus sobre de conception. Et elle a mis, pour la matière, l'Orient à contribution.

Les intérieurs se conforment à la Femme : ils sont d'une intimité précieuse, avec - mais si heureusement interprétée qu'on ne la reconnaît pas, - un peu de la bonhomie Louis-Philippe - un parent pauvre qu'on aurait paré.

Et cela témoigne d'un besoin de vie confortable, benoîte et recueillie, par contraste avec l'intensité, sans cesse plus trépidante, de la vie du dehors, de la vie des affaires.

Le sens du « home » élégant et familier nous pénètre, du home étroit et soigné d'où sont exclues les réceptions fastueuses pour la volupté des réunions intimes.

Le cadre de notre repos, de nos flirts et de nos amours, de nos amitiés, de notre travail, s'il est sédentaire, de nos joies, de nos soucis et de nos peines, de toute notre vie intime, est élégant de couleur. Il y manque encore, je crois, le meuble, non pas celui qui fait convenablement partie du reste, mais le meuble complet et définitif, que l'on peut isoler de son ambiance, et que l'on aime pour son charme personnel. On s'applique à le concevoir, à l'abri des erreurs qui furent d'abord commises.

Lorsque Diaghilev revint à Paris en 1910 avec son désormais célèbre Ballet Russe, sa production de Schéhérazade déclencha un engouement pour l’exotisme oriental qui influença la mode pour les deux décennies suivantes. Ce que Lepape nous donne, c'est la hauteur de l'élégance inspirée de l'Orient vers 1912 - Madame très choyée, souple, au turban, couchée sur son lit somptueux aux coussins exotiques avec un livre de poésie romantique, son rafraîchissement et ses joyaux à chaque doigt.

 

Ainsi se manifeste l'influence de la Femme sur le Style.

La Ligne et la Couleur, telles sont les éléments essentiels du vêtement de la Femme: telles sont aussi, voulues par elle, nos deux préoccupations dans le domaine des choses qu'elle doit honorer de son commerce.

Pour célébrer convenablement la Mode, j'ai fait appel aux artistes mêmes qui lui ouvrent le chemin : saurait-elle avoir de meilleurs historiographes? Ils la résumeront à tour de rôle, chaque année, chacun selon son tempérament, avec la liberté, eux les Initiateurs, d'en prévoir quelquefois la marche. Chacun de ces artistes aura pour compagnon un littérateur : ils iront ainsi, deux par deux, par talents accouplés, le Peintre célébrant la Forme et la Couleur, l'Homme du verbe en exprimant l'Idée.

Le peintre Georges Lepape a bien voulu commencer cette collection et en célébrer l'inauguration par une de ces fêtes de couleurs qu'il orchestre si joliment. Ses aquarelles n'ont que faire d'un commentateur: elles se suffisent à elles-mêmes.

Poète à l'imagination fastueuse, mais que discipline une faculté bien française, celle de la synthèse, Georges Lepape a réalisé la Femme-type, telle qu'elle se dégage de ses aspirations actuelles, il lui a prêté l'harmonieuse et idéale attitude, à laquelle elle s'applique, il a créé pour elle, en ces douze planches, d'inédites parures, où se résument toutes celles qui caractérisent notre époque. Bref, il a stylisé la Femme d'aujourd'hui, et il me paraît en avoir définitivement fixé l'Allure et le Geste, s'élevant ainsi bien au-dessus du vulgaire et adroit chroniqueur de femmes, jusqu'à l'altitude de l'artiste véritable, dont l'oeuvre, qui n'est pas que d'une amusante sensibilité, a le rythme impérieux d'une idée maîtresse.

 

Comme titre, j'ai repris celui d'une vieille publication « Modes et Manières d'aujourd'hui ». Il m'a paru qu'il serait d'un heureux auspice, et qu'il exprime d'ailleurs, mieux qu'aucun autre, l'intention de cet ouvrage.

Puisse ce recueil d'aquarelles, dans le tout petit groupe des gens distingués à qui je m'adresse, éveiller, comme je le voudrais, l'impression de la Femme du jour et que revivent pour tous ceux-là qui feuilleteront ces planches, cette vision charmante d'un soir d'été :

« Leurs allures tanagréennes semblaient le rythme des petites vagues dont s'amusaient leurs pieds nus. Toutes trois marchaient sur le sable, le long de la mer, et l'on aurait dit qu'elles dansaient... Et tout d'un coup, elles s'arrêtèrent toutes les trois, et, ayant ramassé des galets plats, elles firent sur l'eau tranquille des ricochets... »

Texte de Pierre CORRARD.

Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
Modes et Manières d'Aujourd'hui. -1/. - Illustrations - G Lepape - 1912
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