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Les salons de Madame de Loynes et de Mme de Cavaillet -1-

Publié le par Perceval

Au début de la IIIème république, il y a avantage, pour les gens du monde, à fréquenter des écrivains et des salons... Proust montre combien la seule présence de Bergotte a changé, de manière à la fois discrète et rapide, la position d'Odette Swann et, par suite, la notoriété de son salon.

Le monde en revanche, peut rendre de réels services à un homme de Lettres : entrer en relation avec d’autres écrivains, des journalistes ; le faire avancer dans une carrière, voire être poussé vers la députation ou à l 'Académie...

 forain-jean-louis-01.JPG

Paris compte plusieurs salons où il faut être vu. A l’instar de la Princesse Mathilde, de Marie d’Agout ou Madame Adam, de Madame de Caillavet, égérie d’Anatole France, de Blanche d’Antigny, de la Princesse Troubestkoï ou de la Comtesse de Boigne,  la comtesse de Loynes reçoit chaque jour de cinq à sept. Il y a aussi les déjeuners du dimanche et les dîners du vendredi. La table y est excellente, et la conversation des plus animées. Mais chaque salon compose un clan. L’affaire Dreyfus marque le clivage. Chez Madame de Loynes, on trouve Barrès, Renan, Léon Daudet : on est catholique et antisémite.

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Jeanne Detourbay, future Comtesse de Loynes, par Amaury-Duval 1862 Mme Arman de Caillavet (1844-1910) en 1893

Ainsi, Jules Lemaître (1853-1914), du fait du succès que connaissent ses feuilletons et de sa liaison avec Me de Loynes, se trouve immédiatement lancé dans le monde parisien sans avoir eu à gravir les différents échelons.

Jules-Lemaitre.jpgAncien élève de l'École normale supérieure et agrégé des lettres en 1875, Jules Lemaître (1853-1914) enseigne et collabore à des revues, d'abord comme critique, puis se consacre à la littérature.

Il est nommé en 1875 au lycée du Havre : on lui confie une classe de rhétorique (il lit à ses élèves du Zola, du Flaubert, du Labiche!). Il fait également des cours à l’Ecole normale de filles et donne des leçons dans une institution mondaine ; toutes ses élèves sont amoureuses de lui. Lui aime une certaine Madeleine, Magdalena… qu’il célèbre dans les poèmes des Médaillons (publiés en 1880) ; mais elle lui préfère le fils d’un riche armateur... Il commence aussi à donner des conférences sur la musique, sur Pascal, sur La Bruyère…

Flaubert (qui a su qu’il lisait dans ses classes des pages de Madame Bovary et de Salammbô) l’invite à Croisset, où il rencontre Maupassant (alors rédacteur au ministère de l’Instruction publique).

Jules est amoureux de Paulette Deschalets, sans doute une fille illégitime du châtelain ; elle est d’habitude chez les Visitandines de Neuilly, mais elle vient à Equilly pour les vacances. il adresse des vers à la jeune fille : "Je t’ai tout de suite adorée / Pour la tristesse de tes yeux". Ils se promènent, vendangent ensemble à Equilly et, finalement, se fiancent (le parti, d’ailleurs, est intéressant : la jeune fille aura 110 000 francs de dot !).Il l’épouse à Paris en 1881.

Après cinq ans passés au Havre, Jules Lemaître est nommé en 1880 à l’École Supérieure de lettres d’Alger.

Dès le début, le mariage marche mal. La jeune femme commence à découvrir les plaisirs de la vie parisienne et elle ne suit son mari à Alger qu’avec de grandes réticences. Bientôt — épouse peut-être un peu délaissée par un mari occupé à préparer sa thèse — elle a une liaison avec un jeune avocat qui s’est introduit dans l’intimité du ménage. Le scandale éclate le jour où une voiture de louage dans laquelle se trouvent les deux amants se renverse devant la terrasse du café où se trouve le mari ! ( Cela aurait pu être Emma Bovary …!)

Jules Lemaître abandonne l’Université et, en octobre 1884, il s’install.e à Paris où, en deux ans, il va devenir célèbre.

Sa carrière est largement prise en mains par la comtesse de Loynes. C’est elle qui le pousse à l’Académie (où il entre en 1896, à 43 ans) et qui en fait un polémiste de droite. C’est elle aussi qui le pousse vers une carrière de dramaturge.


Anatole France (1844-1924), suit un parcours plus laborieux, et tout aussi efficace. Anatole-France.jpgIl fréquente des cercles littéraires et artistiques : les salons de Leconte de Lisle, de Nina de Callias, pour les beaux yeux de qui il se bat avec Charles Cros.. Puis d'autres portes s'ouvrent… France est présenté à la princesse Mathilde... Mais c'est surtout après la publication du Crime de Sylvestre Bonnard …, en 1881, qu'Anatole France est invité dans le monde. table-select--Madame-Aubernon.jpgEt, d'abord chez Lydie Aubernon... Causeuse célèbre pour ses conversations dirigées «  à la sonnette ». 

 

En 1876, Léontine de Cavaillet (1844-1910) est une des rares femmes à être reçues chez Mme Aubernon. Elle y rencontre Anatole France et Jules Lemaître.

En 1888, Mme Aubernon rompt avec Mme de Caillavet qui lui a volé ses habitués ( comme Julie de Lespinasse, envers Mme du Deffand …). Désormais, Mme de Caillavet affiche nettement sa rivalité, donnant des dîners le mercredi, le même jour .., la différence étant ( entre autres …) la qualité de la nourriture...

 

Jeanne de Loynes (1837-1908), commence par « faire carrière » dans la haute galanterie à Paris, sous le nom de Jeanne de Tourbey.Jeanne-Detourbey--future-comtesse-de-Loynes.jpg Elle eut des amants célèbres, comme Plon-Plon ( le cousin de Napoléon III), et Alexandre Dumas fils... qui va l'initier à la culture, et la présenter à Sainte-Beuve, qui va rester pendant vingt-deux ans son confident et son conseiller. Elle suscita l'intérêt de Flaubert et Émile de Girardin...

En 1885, lorsque qu'elle rencontre Jules Lemaitre, qui a 32 ans, elle en a cinquante.

Mmes de Loynes et de Cavaillet sont aussi, autoritaires, possessives, jalouses l'une que l'autre. Mme de Cavaillet enfermait volontiers Anatole France pour l'obliger à travailler. Quant à Mme Loynes, elle exige que Jules Lemaître habite près de chez elle.

Les deux femmes sont fières d'avoir une liaison avec une personnalité littéraire, et d'en faire le centre d'intérêt de leur salon. Pour les deux écrivains, il est gratifiant d'avoir été choisis par des dames dont le pouvoir mondain est reconnu, et disposer d'un salon, c'est aussi étendre leurs relations.

Marcel Proust, en mai 1889, a dix-huit ans quand il se met à fréquenter le salon de Mme de Cavaillet. Il admire Anatole France, dont il fera le modèle de Bergotte dans la Recherche et devient l'ami de Gaston Arman de Cavaillet, le fils de la maison. France a bien accueilli Proust et accepte d'écrire une préface pour Les Plaisirs et les Jours.

      Sources -en particulier : Les salons de la IIIème république d'Anne Martin-Fugier. ( Perrin 2003)

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Comtesse Greffulhe:  ( 'Duchess de Guermantes' ) Five o'clock de Pierre-Georges Jeanniot (1848-1934)


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