La nuit. Ferdinand Hodler
Un homme est réveillé en pleine nuit par un spectre - la mort - qui lui grimpe dessus. A ses côtés dorment six personnages. A y regarder de près, l'homme est trois fois le même, les femmes aussi. Le paysage est minéral, irréel, les couleurs atones. Si c'est un cauchemar, il se déroule au ralenti, dans une terreur muette.
Tableau autobiographique, La Nuit peinte par Ferdinand Hodler à partir de 1889, occupe une place charnière dans l'oeuvre de l'artiste.
"Le groupe central montre le peintre affolé par la forme noire - symbole de mort - qui tente de l'écraser. Très marqué par la perte précoce de ses parents, l'expérience de la mort se répercutera souvent dans ses sujets. A cette angoisse s'ajoutent les problèmes qui agitent sa vie sentimentale. Deux femmes se partagent son existence et sont parfaitement identifiables sur le tableau.
Augustine Dupin, sa maîtresse en titre, incarne le sommeil solitaire en bas à gauche. Première compagne de Hodler elle se montra vaillante et loyale dans les années difficiles. A l'opposé, sur la droite, la femme nue vue de dos est Bertha Stucki, une ravissante jeune femme dont il s'est amouraché au cours de l'été 1887. Il l'épouse en 1889 mais le divorce est prononcé deux ans plus tard. Union passionnelle et principalement charnelle, il exprime son attachement à la beauté du modèle en présentant les courbes élégantes de son corps au premier plan du tableau.
En haut, à gauche, le groupe de trois dormeurs réunit Hodler et les deux femmes. Mais visiblement l'artiste ne trouve pas le sommeil. L'apaisement ne vient que dans la dernière mise en scène du peintre, en haut à droite, enfin seul et endormi.
Le réalisme des nus et les attitudes de ces couples enlacés de La Nuit suscitent un scandale à Genève en février 1891. Le tableau est exclu de l'exposition genevoise des Beaux-Arts.
( Sophie Cachon - Telerama n° 3026 )