Chantal Akerman
La cinéaste Chantal Akerman, vient de se donner la Mort. Née en 1950, Chantal Akerman a grandi à Bruxelles et venait d'une famille juive de Pologne, qui fut déportée à Auschwitz. Sa mère y survécut.
Chantal Akerman a réalisé un très beau film sur la nature du lien qui peut se tisser entre un homme et une femme, sur le mystère du lien amoureux...
Chantal Akerman, cet été (2105) à Locarno. --->
Ce film '' La Captive '' est construit sur ce qui nous est donné par Proust avec '' La Prisonnière '', et sur ce que nous savons du Cinéma, comme avec Hitchcock, dans Vertigo...
Hauts talons d'une femme marchant dans la Place Vendôme. La caméra suit cette vision élégante jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans une voiture. Un jeune homme (Stanislas Mehrar) suit, en gardant les yeux sur les talons.
Dans '' La Captive '', Ariane (Sylvie Testud) et Simon partagent un grand appartement parisien. Sage, oisive, un peu molle, Ariane va de musée en exposition et de concert en réception. L'inquiétude de Simon est permanente ; il sait qu'avant de le rencontrer, Ariane a aimé des femmes... L'aime-t-elle vraiment ? En est-elle seulement capable ?
Il veut tout savoir d'elle, la suit, la fait accompagner dans ses sorties, et la soumet à un questionnement incessant. Il se doute qu'elle a une double vie, et cela ne fait qu'exacerber sa douleur, son impuissance et sans doute son désir d'elle.
Ci-dessous : ce que Chantal Akerman, disait dans un entretien sur ce film :
« Dans La Prisonnière, Albertine est libre, elle aime les femmes, et le Narrateur est totalement démuni par rapport à ça...(...) Proust montre combien l’amour homosexuel est une vraie prise de risques, qui te prend toute ta vie. (…) Charlus, c’est l’absolue perte de soi, alors que même Swann finit par sortir de sa douleur, mais lui est juif, encore quelque chose qui me concerne de très près.
Et j’ai toujours été fascinée par le récit de sa mort, quand Proust décrit comment ses traits de juif ressortent de son visage à l’approche de la mort… Le tout début de La Recherche aussi m’intéresse beaucoup, tout le rapport avec sa mère, mais j’en ai marre de faire des choses liées à la mère, même si je sais qu’on n’en a jamais fini…
(…) Pour les relations sexu
elles entre le Narrateur et Albertine, par exemple, j’ai repris quasiment point par point ce que Proust écrit, comment il se tient derrière elle, comment il la frôle, comment il l’appelle dans sa chambre, ou va dans la sienne, comment il la caresse quand elle dort, ou fait semblant de dormir, comment elle dit “Andrée” dans son sommeil, mais c’est sa main à lui qu’elle tient, et comment les deux jouissent. C’est une des choses les plus fortes jamais écrites pour montrer combien au fond, c’est toujours l’imaginaire qui te fait jouir. C’est une situation qui fait fonctionner leur imaginaire à tous les deux, et il n’y a pas besoin de pénétration, c’est une jouissance provoquée par leur imaginaire, une cérémonie sexuelle qui les lie, un cérémonial très au point entre eux deux, jusqu’à ce que sa jalousie à lui et son questionnement permanent devienne plus pesant que le plaisir partagé pris à ce cérémonial. C’est pour ça que quand on dit “C’est un bon coup” ou des trucs comme ça, ça ne veut rien dire, c’est ridicule. L’important est que le partenaire fasse fonctionner ton imaginaire, sinon il n’y a pas de jouissance.
Et c’est bien pour ça qu’Albertine reste chez lui, et ne parvient pas à le quitter, part pour mieux revenir, malgré sa jalousie et ses interrogatoires permanents, parce qu’elle jouit. »
Chantal Akerman observe sans ironie ce drôle de couple où les amants s'étreignent tout habillés et ne paraissent jamais si proches que bavardant à travers la vitre d'une douche ou mêlant leurs ombres au cours d'une promenade.
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Ce besoin de percer le secret de l'autre et les filatures qui en résultent font écho à l'intrigue de Vertigo (Sueurs froides) d'Alfred Hitchcock. À l'instar de Scottie (James Stewart), Simon suit Ariane dans un musée et l'observe en train de contempler une œuvre d'art. La coiffure de la Femme slave d'Auguste Rodin (1906) évoque le chignon de Madeleine (Kim Novak) et de Carlotta, le personnage du tableau, dans le film d'Hitchcock.